« Comment les bébés en viennent un jour à parler ? » (deuxième partie)
(suite de l’épisode d’hier…)
Voilà plusieurs mois que ce petit d’homme affine son audition : le « brouillard sonore » gagne en clarté, il est attiré par les invariants, tous ces éléments du langage qui reviennent, inchangés et il va commencer à les reproduire en imitation. Ces invariants, peuvent être, par exemple, des mots (= le lexique), des structures de phrases avec un ordre des mots bien particulier (= la syntaxe) :
Un exemple autour du mot chat :
— Oh ! Regarde le chat de mémé !
— Oui, c’est le chat que tu entends miauler.
— Ça, c’est un gros chat !
=> un jour, par imitation, il prononcera le mot « chat ».
C’est à cette période qu’on peut entendre chez les tout-petits de drôles de mots qui témoignent de la finesse de leur discrimination. Par exemple : le navion, (parce qu’il a entendu « un-navion »), un zaricot (il a entendu « des-zharicots »). Apparaissent donc les premiers mots, le tout premier étant très variable (ex : papa, maman, gâteau, téter, mais aussi « Attends ! », « Deux secondes ! » quand il entend souvent ces mots-là dans son entourage !). Ce premier mot est souvent le déclencheur et l’on assiste alors à une explosion du vocabulaire (= les mots qu’il emploie, comme ceux qu’il comprend).
Durant cette période, le bébé peut aussi utiliser des holophrases (ou mot-phrase) : un mot qui revêt des sens différents selon le contexte dans lequel il est employé par l’enfant. L’enfant qui prononce « Papa ! » peut, sous ce mot, vouloir nous faire passer plusieurs messages : « Il est où mon papa ? », « Je pense à mon papa. », ou encore « C’est mon papa. », ou même « C’est la tasse de mon papa. »
Son stock de mots augmentant, l’enfant va se mettre peu à peu à construire des phrases, en assemblant des briques-mots, il va s’essayer à l’art du discours ! On assiste alors à tous les essais- erreurs possibles, l’enfant essayant de prononcer des mots contenant des structures complexes : il prononcera peut être « tateu » pour « tracteur » et « Ma, a fait seni beu » pour « J’ai fait une chenille bleue ». D’une manière totalement naturelle, les adultes, autour de l’enfant, sont alors pris dans ce jeu de ping- pong (*) au cours duquel ils rétablissent le mot, la phrase, c’est-à- dire qu’ils redonnent le bon modèle, comme en écho, ou en attirant l’attention de l’enfant sur un élément particulier (« Tu as vu un tracteur ? C’est ça ? », « Oui ! C’est une chenille bleue »...).
hNul besoin de lui demander de répéter, dans ce processus naturel ressemblant parfois à un écho ou parfois à une re-formulation, l’adulte entend « l’erreur », il redonne le bon modèle et le petit va imiter spontanément ce modèle ou du moins s’y essayer. Peu à peu, par le jeu de cette imitation mutuelle, il affine la précision de sa diction et enrichit ses phrases.
Les parents racontent souvent leur perplexité pendant ces mois où leurs enfants demandent à longueur de journée : « C’est quoi ? », « Et pourquoi ? »... leur quête à cet âge est précisément celle de la signification des choses et de la richesse d’un vocabulaire précis et approprié. C’est parfois contraignant et l’on peut être tenté de ne pas leur répondre, voire de leur faire comprendre qu’on en a assez, mais cette étape est encore une fois cruciale et doit amener l’adulte à un grand effort de patience et d’abnégation !
À l’époque de cette construction de la grammaire des phrases, les enfants sont incroyablement observateurs, c’est comme s’ils analysaient, triaient nos phrases, cherchaient les structures qui reviennent souvent, pour en comprendre l’organisation et pouvoir ensuite les reproduire à l’infini. Il nous serait impossible à nous, adultes, d’acquérir aussi vite et en immersion pure (c’est à dire sans « leçons ») toute la richesse de la construction des phrases d’une langue donnée. Mais ce travail colossal demande l’implication des adultes (parents, assistant.e.s maternel.le.s, éducateurs, professeurs) et ce, jusqu’à un âge avancé de l’enfance, voire de l’adolescence, lorsqu’il s’agit d’employer des formulations particulières et qu’elles restent difficiles à automatiser (ex : « mais qu’est-ce que vous faisez ? », « c’est pas c’que vous croivez »).
(*) Après avoir « redressé » les balles-mots, on va lui « redresser » ses balles-phrases et ça, c’est un travail de plusieurs années ! Plus l’enfant grandit, plus il s’exprime, plus il essaie de reproduire les phrases qu’il entend. Il devient ainsi un très grand grammairien sans aucune leçon ! Il entend un jour « je vais le peindre » et dira peut-être : « j’arrive pas à me tiendre ! » ou, parce qu’il a entendu « c’est comme ça qu’il l’a su », il dira « elle me l’a prendu ! ». Même s’il grandit et que nous le comprenons désormais, il est important de continuer ce ping- pong pour lui donner de bons modèles langagiers.
Du côté des parents, comme de tout adulte qui s’occupe des enfants, il y a toute l’histoire du lien, de la relation, l’envie de lui parler, même si ce petit d’homme est au départ bien « silencieux ». Tout au long du chemin qui aboutit au langage oral, il est important que chacun aille bien, car chaque petite difficulté pourra devenir un grain de sable dans cet engrenage.
Concrètement, que puis-je faire pour aider un bébé à mettre en place son langage ? favoriser les échanges naturels, c’est à dire de vrais temps d’échange avec une présence tenue : prévoir un temps où on ne sera pas dis- trait par les téléphones, les écrans, être disponible dans sa tête, ne pas envoyer de sms ou pianoter sur son téléphone vers le monde virtuel. Chaque fois qu’on est face à son enfant mais absorbé par un échange ou une lecture virtuels, il se trouve, lui, face à notre visage qui ne répond pas à ses sollicitations silencieuses, ses regards, ses émotions et ça peut être très angoissant pour lui. Il ne faudrait pas qu’il se résigne et se « coupe » de l’autre à son tour, comme une imitation... il perd aussi de très nombreuses occasions d’entendre du langage… Continuer à chanter des comptines, à faire du langage dans le quotidien : décrire ses actions (par exemple en course, en bricolant), décrire son environnement (lors des balades), poser des questions qui demandent une vraie réponse construite (pas seulement un oui ou un non), lui demander son avis d’enfant, expliquer son propre avis d’adulte (avec des mots appropriés bien sûr), déguster des silences dans la communication. Ces silences sont très importants, car ils correspondent au temps que chacun prend pour penser à la réponse à donner, pour faire venir des idées, etc. Or, ce temps de latence est très différent chez les adultes et les enfants (bien plus long chez l’enfant), lui laisser des moments pour initier la conversation sans toujours anticiper : ce sont souvent les adultes qui « commencent », a fortiori quand l’enfant est petit, alors qu’il peut aussi être l’instigateur de la conversation à venir, être attentif à ce qu’il/elle dit : rétablir les mots, reformuler les phrases en écho ou en posant une question. Si l’on n’entre pas dans ce processus de ping-pong avec un enfant, on lui laisse penser qu’il s’exprime correctement et rien ne lui dira qu’il y a des erreurs à corriger.
Attention : depuis qu’il est tout petit, ce bébé est à l’origine de tout un lot de questions auxquelles les parents se doivent de répondre telles que : « Il fait tes nuits ? » (bien plus vrai que « il fait ses nuits », non ?!), « il tient assis ? », « alors, il marche ? », « bon, alors, il parle ce p’tit bonhomme ? ». Il en est une qu’on ne pose jamais aux parents, mais qui pourrait être autrement plus importante : « Dis-moi, ton petit, es-tu sûr qu’il comprend ? ». La perception, puis la compréhension, sont à l’entrée de toute cette succession de phénomènes par lesquels le bébé puis l’enfant vont capter le message de l’autre, le décrypter, pour l’imiter et s’en inspirer pour construire le leur. Il est donc crucial de s’assurer de temps en temps que ce petit entend bien et ensuite comprend notre message, en veillant particulièrement à ne pas l’accompagner d’un geste para-verbal qui facilite justement sa compréhension. Par exemple, lui demander d’aller chercher son pull, sans montrer la destination ou l’objet lui-même avec le doigt. Les médecins qui auscultent les bébés et les jeunes enfants veillent à l’état des oreilles, leur font écouter des sons pour déceler d’éventuelles baisses de l’audition (notamment pendant une otite : agissant en véritables boules Quiès, elle modifie complètement la perception des sons pour enfant qui ne pourra forcément pas les reproduire à l’identique). Au-delà des contrôles médicaux, c’est dans la vie quotidienne qu’on peut veiller à la bonne audition et la compréhension de son petit.
Les mots clé de toute cette aventure ?
- La communication, l’imitation, la sensibilité à l’autre,
- Regarder dans la même direction, « Étiqueter » pour donner le vocabulaire,
- Des discussions pour donner le langage dans son ensemble,
- Le « Ping- pong » langagier entre l’adulte et l’enfant pour redonner sans cesse les bons modèles,
- Le plaisir partagé !!
Si la lecture de cet extrait vous donne envie d’aller plus loin, « Bébé s’exprime par signes » vous propose toute cette « théorie » enrichie de dialogues entre une maman et une orthophoniste qui donnent de nombreux exemples de la vie quotidienne, puis d’autres chapitres sur : « Pourquoi signer avec un tout-petit ? », « Comment lui offrir des signes ? », et un dictionnaire de 30 signes indispensables puis 150 autres signes pour approfondir, chacun visible en vidéo avec un lien en QRcode.